I.1 Introduction
Le but de ces petites notes est de répondre à des questions que me posent depuis des années, des exécutifs et cadres supérieurs dans le cadre d’un coaching abordant la création, la gestion et la finalisation des projets complexes.
Récemment, c’est moi qui leur ai posé la question d’une quelconque utilité d’écrire sur ce sujet.
Les réponses ayant été unanimes, je profite de l’accalmie de fêtes pour vous parler de stratégie et des fausses stratégies à partir de courtes notes.
Maîtriser la stratégie exige de la lecture et l’apprentissage de l’histoire militaire et de la géopolitique en détail, mais ici, nous allons nous limiter à parler des notions de base.
Dans un premier temps, sera abordée une présentation générale du terme "Stratégie". Ensuite, nous allons réfléchir sur l’application des méthodes inspirées de la "Stratégie" dans les domaines politique et économique.
I.2. Concepts de Base
Dans les années 70, n’importe quel professeur de l’école de guerre de n’importe quel pays vous aurait dit d’emblée:
- Arrêtez d’usurper le sens du mot "Stratégie" pour faire beau dans les affaires.
Il est vrai que le marketing facile d’une part et le manque de culture des utilisateurs de l’autre part ont abouti à l’incorporation du mot "Stratégie" à toutes les sauces depuis des années 60. Ainsi une simple planification provisionnelle de boutiquier, quelle que soit l’importance de la boutique par ailleurs, a été pompeusement promue au même titre que des enjeux des champs d’honneur.
Cependant, le développement des entreprises mondiales au-delà des lois "anti-trust", leur taille et leur pouvoir pesant sur la politique d’une par, l’affaiblissement des États-nations, surtout ceux qui sont démocratiques, au bénéfice d’une mondialisation et globalisation d’autre part mettent en question le rôle des forces nationales.
Ainsi, l'utilisation du mot "stratégie", dans une globalisation économique où la lecture simpliste des intervenants dans différents conflits ne sera plus possible Elle aura besoin de nouvelles définitions. Dans un environnement où la solidité des états et celle de leurs institutions deviennent de plus en plus liquide, Z. Bauman (1), nous invite à considérer la stabilité dans le temps des structures sociales :
- . . . le pouvoir et la politique, les deux conjoints censés cohabiter au sein de l’État-nation, se sont séparés ou sont en instance de divorce. . .
Dans une globalisation où les entreprises sont de plus en plus riches et possèdent des trésors de guerre plus importants que la richesse totale de beaucoup de pays, le pouvoir synonyme de l’efficacité de l'action, se détache de la politique. La politique étant la faculté d’imposer à l’action, une orientation et un objectif, elle ne peut opérer efficacement au niveau mondial puisqu’elle reste locale, comme autrefois.
Penser une institution comme l’armée, la force stratégique d’un État-nation, risque de devenir de plus en plus problématique.
Étymologiquement, le mot "stratégie" est composé de "stratos" qui signifie l’armée et "agein" qui veut dire action de pousser, diriger. Donc, la stratégie est, avant tout, un processus militaire. Carl von Clausewitz (2), un général prussien qui a combattu Napoléon est un des penseurs militaires modernes. Son livre, "Sur la Guerre", est encore aujourd’hui considéré par les experts militaires comme un des livres important pour comprendre l’histoire militaire. Ses idées restent largement enseignées dans les écoles militaires et sont utiles pour la compréhension historique de la stratégie occidentale.
Beaucoup de penseurs militaires se sont penchés depuis sur des concepts concernant l’art de mener une armée, une guerre, afin de décrire avec encore plus de détails des fins et des moyens lors de la résolution des conflits dans un rapport de force.
En France, bien sûr, le grand penseur de la stratégie, le Général André Beaufre (3), demeure une des références. Pour lui, la stratégie dans le sens opérationnel est "un art de la dialectique des volontés employant la force pour résoudre les conflits".
Comme le Général Beaufre l’a souligné, la définition moderne de la stratégie est composée des propriétés pointées par l’art, la dialectique, la volonté et la force.
Ne permettant pas la connaissance exacte des paramètres qui la constituent, la stratégie est plus proche de l’art que des sciences dures. La méthode dialectique utilisée par des stratèges ne correspond pas souvent à des échanges philosophiques au moyen d’arguments de raison mais aussi à l’application des volontés qui ne peut qu’engendrer des forces. Dans son essence, les volontés qui engendrent la stratégie sont politiques.
Clausewitz disait que :
-la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens là où chacun veut imposer à l’autre un type de pouvoir dont l’autre ne veut pas.
Chez nous, les penseurs de la stratégie comme Hervé Coutau-Bégarie (4) et Georges Henri Soutou (5) ont redéfini la stratégie moderne comme
"l'art de la dialectique des volontés et des intelligences en employant entre autres la force ou des menaces de recours à la force à des fins politiques".
Cette définition inclut le poids de la décision politique dans l’action opérationnelle.
II.2. Créativité des Artistes Militaires
Dans nos sociétés gâtées, on rencontre parfois des idées préconçues concernant les militaires. Les "pas amis du tout" de la France, par leurs propagandes internes et externes, ont essayé d’abîmer la bonne image des forces protectrices de notre démocratie et notre façon de vivre, à des amas de brutes contraires à tout ce qui est intellect. Mais quel ignorant pense encore que les militaires n’ont pas de sens artistique ? Les bons stratèges sont des artistes qui ne se montrent pas en public. On ne les verra jamais dans des émissions poubelles d'une télévision bas de gamme. Et ce n’est pas parce qu’ils sont loin des milieux de célébrités télévisuelles à deux sous qu’ils ne sont pas des créateurs géniaux ! La créativité militaire n’a rien à envier aux œuvres des meilleurs romanciers, aux récits des conteurs d'histoires à dormir debout, à ceux des "Story Tellers". On est dans l’art d’inventer des situations, de créer des conditions favorables pour faire avaler des couleuvres aux publics adversaires aussi intelligents et méfiants que vous. Bienvenu dans l’art de la "ruse".
Ce grand art d’illusionniste s’est déployé depuis les premiers temps de l’humanité. Un exemple que tout le monde connaît s’est passé pendant la 2ᵉ guerre mondiale. Lors de l’opération "Fortitude", en 1944, les alliés ont accumulé des chars, des avions et autres engins factices, en bois et en carton au sud de la Grande-Bretagne pour faire croire aux allemands que le débarquement aura lieu dans le Pas-de-Calais. On en apprend des centaines d’exemples comme cela dans les écoles militaires avec toujours un message de sagesse invitant à la prudence et modestie "Il existe toujours quelque part quelqu’un plus inventif, plus rusé que vous !". . .
II.3. C’est Quoi déjà un bon Stratège
Les qualités d’un stratège se présentent dans les définitions et exemples historiques de la stratégie : intelligence, créativité, savoirs, modestie et surtout, respect de l’adversaire.
L’approche historique et définitions de la stratégie et du stratège portent souvent les couleurs de la culture nationale. Chez nous, on pensait que pour développer une pensée stratégique, il suffisait de vivre la guerre ou être né avec un don inné. Certes, pour être un bon stratège, être doté de l’intelligence, avoir vécu la guerre auprès des maîtres du jeu ne nuisent pas. Cependant, prendre la guerre comme une science dure est une erreur du scientisme.
Le maréchal Foch est un des premiers français à avoir pensé qu’il y avait quelque chose de bancale à calfeutrer la stratégie à ces trois postulats largement acceptés par l’armée française de l’époque.
En analysant la défaite de 1870 face aux officiers prussiens, le Maréchal Foch a conclu que ces trois postulats étaient une source conduisant au fatalisme, à la paresse intellectuelle et au refus du travail de réflexion. En cas de conflit armé, on énumérera toujours des éléments constituant des forces physiques, mais la considération des paramètres moraux, sociaux et du facteur "chance" aura également son importance. Par exemple, quand on analyse les victoires de la Prusse au milieu du 18e siècle face aux trois géants de l’Europe: la France, la Russie et l’Autriche, on peut citer non seulement le génie stratégique du roi prussien, mais aussi la liberté d'action, les connaissances historiques des guerres, le moral supérieur de ses officiers et parfois des circonstances que l’on peut qualifier de "chance exceptionnelle" de l'armée prussienne. . .
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La suite...
1- Zygmunt Bauman, La vie liquide, (Paris: Pluriel, 2013).
2- Carl von Clausewitz (Paris: Ed. de Minuit, 1992).
3- André Beaufre et Thierry de Montbrial, Introduction à la stratégie (Paris: Pluriel, 2012).
4- Hervé Coutau-Bégarie, Traité de stratégie (Paris: Economica, 2011).
5- Georges-Henri Soutou, La guerre froide 1943-1990 (Paris: Fayard, 2011).